Spécialiste du Caucase, Thomas Dworzak est un photographe de guerre de renommée internationale. Il a documenté une grande partie des événements mondiaux depuis les années 1990. Il est membre de Magnum Photos depuis 2000 dont il a été le président de 2017 à 2020. Son travail a été publié dans de nombreux médias comme The New Yorker, Newsweek, U.S. News & World Report, Paris Match, The New York Times Magazine, Time… Il a remporté le World Press Photo en 2001 pour un reportage en Tchétchénie.

 

Autodidacte, le photojournaliste Thomas Dworzak (50 ans) a sillonné le monde ces trente dernières années, de l’Afghanistan à l’Irak, en passant par l’ex-Yougoslavie, l’Iran et le Caucase, proposant une vision singulière des conflits. Photographe de la prestigieuse Agence Magnum Photos depuis 2000, il a été récompensé plusieurs fois, notamment par le World Press Photo en 2001 pour son travail en Tchétchénie.

« J’ai grandi dans la quiétude bavaroise, un environnement provincial, très protégé. J’avais besoin d’un challenge extrême. Photographier la guerre, c’est ultime. » Né à Kötzting, en Allemagne en 1972, Thomas Dworzak grandit, dans la petite ville de Cham, au sein d’une famille d’enseignants. En pleine guerre froide, à 7 km du rideau de fer et de la frontière avec la Tchécoslovaquie de l’époque.

 

 

« Le mur venait de tomber mais je n’étais pas attiré par l’Est. Je suis allé en Irlande du Nord, en Israël, en Palestine. Avec l’idée un peu floue d’être photographe. J’avais photographié mais je n’avais pas de culture photo, ni de technique. Un mélange entre un goût pour la provocation ; une envie de voyager ; un intérêt pour les histoires, les récits, et notamment ceux autour de mon grand-père maternel mort à la guerre ou de la déportation de la famille de mon père m’a donné l’envie d’enfiler le fameux gilet de pêcheur. »

Sans réseau ni financements, Thomas Dworzak tente de rejoindre l’ex-Yougoslavie où le plus grand conflit sur le sol européen depuis la Seconde Guerre mondiale vient d’éclater. « J’ai suivi des fascistes allemands volontaires, en Croatie. J’ai envoyé des petits tirages au quotidien « Tageszeitung« . Ils n’ont rien gardé. » Le premier coup de pouce survient à Prague où il s’installe pour suivre des cours de langue (il manie le français, l’anglais, l’espagnol et le russe). Il y rencontre le rédacteur en chef du seul journal allemand sur place. Ce dernier lui permet d’obtenir une accréditation. Un sésame.

« Wostok, la plus petite des grandes agences »

En 1992, il s’installe à Moscou puis habite à Tbilissi, en Géorgie, de 1993 à 1998. « Fasciné par le Caucase, j’ai passé la plupart du temps entre Grozny et Tbilissi. La force russe était sans pitié. Les Tchétchènes se battaient fièrement. J’ai découvert un peuple armé jusqu’aux dents, des kalachnikovs partout, mais avec un sens de l’hospitalité incroyable. » Il suit les conflits en Tchétchénie mais aussi au Karabagh et en Abkhazie.

« En 1995, lors d’un retour en Allemagne, je suis allé à l’Ambassade de France. J’ai demandé les pages jaunes et envoyé ma candidature à 40 agences basées à Paris. » Magnum répond poliment que c’est une coopérative avec une procédure très stricte de recrutement. Wostok, « la plus petite des grandes agences », l’enrôle. « Jean-Claude Zullo et sa femme, monténégrine, m’ont pris sous leurs ailes. C’était une petite agence mais très respectée. Ils m’ont sorti de mon isolement. » En 1999, il s’installe à Paris. La même année, appelé par un ami correspondant du Guardian, il couvre la crise au Kosovo. « C’est le boom technologique. J’achète un scanner couleur et un ordinateur. Je deviens autonome. » Son travail autour d’un massacre serbe est remarqué par le U.S. News & World Report. « Je deviens pro. Je gagne de l’argent. J’envoie des photos tous les jours. »

2e prix à Bayeux

Un an après, il retourne en Tchétchénie, après le départ des forces russes. « Le jour et la nuit. Au lieu de circuler librement comme avant, je devais m’entourer de six gardes du corps. Puis, une journaliste anglaise m’a embauché comme traducteur russe. En la ramenant en Tchétchénie comme fixeur, j’ai pu faire des photos exclusives de l’exode tchétchène. J’ai fait les meilleures photos de ma vie, en tant que traducteur. » Son reportage « Départ de Grozny » est publié par Newsweek, Paris Match, le New York Times et décroche le 2e prix à Bayeux en 2000.

Après la chute de Grozny, il entame un projet sur l’impact de la guerre de Tchétchénie dans le Nord-Caucase avoisinant. Ce travail réalisé entre 1992 et 2002 a été publié en 2010, sous la forme du livre Kavkaz.

Il photographie également les événements en Israël, la guerre en Macédoine, la crise des réfugiés au Pakistan, Bagdad sous le contrôle de Saddam Hussein, le Kurdistan irakien.

Basé essentiellement à New York depuis 2004, il photographie le monde politique américain et les conséquences de la guerre en Irak, pays auquel est consacré son projet « M*A*S*H », étonnant travail de composition entre la fiction et la réalité en Irak, exposé à Bayeux, en 2007.

Dworzak intègre l’agence Magnum en 2000, avant d’en devenir président de 2017 à 2020. « L’agence voulait un peu de renouvellement. J’ai été surpris. Pour moi, c’était réservé aux photographes très établis, le Graal. »

Son premier livre est composé de photos… qui ne sont pas les siennes

Après le 11 septembre 2001, Thomas Dworzak passe plusieurs mois en Afghanistan en mission pour le New Yorker. Il en revient avec son premier livre, « Taliban ». Un projet surprenant, provoquant, subversif… Le reporter propose un projet autour de portraits de talibans trouvés dans les arrière-boutiques des échoppes qui réalisent des photos d’identité. On y voit des combattants talibans sur des fonds colorés et fantaisistes, les yeux soulignés d’un trait de khôl… « Les Talibans ont d’abord interdit à tout le monde de prendre des photos. Ensuite, ils ont fermé tous les studios photo, puis les ont rouverts clandestinement et enfin, ils se sont fait prendre en photo. Sauf que personne d’autre n’avait le droit d’en prendre. Mon premier livre est composé de photos qui ne sont pas de moi. »

Depuis, il est allé en Iran et en Haïti. Il a également réalisé des reportages sur les révolutions dans les républiques de l’ex-Union soviétique, la Géorgie, le Kirghizistan et l’Ukraine. Pour son projet le plus récent, « Feldpost » (2013 – 2018), il a photographié la « mémoire » de la première guerre mondiale dans plus de 80 pays. En couvrant la crise des réfugiés de 2015, il a conçu « Europe – un guide photographique pour les réfugiés », un livre auto-produit et distribué gratuitement aux migrants.

Son projet actuel, « War Games » est une recherche de long terme photographiant toute forme de reconstitution, au sens le plus large du terme.

Très « touché » de présider le Prix Bayeux, Thomas Dworzak se dit impatient et curieux de pouvoir débattre du traitement de l’invasion russe en Ukraine avec ses confrères. « Je suis retombé récemment sur une vieille publication qui avait servi à illustrer un article intitulé « Putin’s Wars« . C’était en 2000. J’ai l’impression d’avoir fait ma carrière sous l’ombre du dirigeant. Il a instauré une relation malsaine avec les pays voisins. Entre adoration d’un Caucase romantique et répression féroce de toute démarche de liberté. »